La Gestion de la Performance Environnementale en pratique #4
Le témoignage de CRECER IFD en Bolivie
La Série Environnement de Cerise+SPTF
- Article #1 – Le témoignage d’Assilassimé Solidarité, au Togo
- Article #2 – Le témoignage de l’UBTEC au Burkina Faso
- Article #3 – Le témoignage d’ENDA Tamweel en Tunisie
- Article #4 – Le témoignage de CRECER IFD en Bolivie
- Article #5 – Le témoignage de ESAF en Inde
- Article #6 – Le témoignage de MiCrédito au Nicaragua
En février 2022, CERISE+SPTF ont publié une version mise à jour des Normes Universelles. Celles-ci incluent désormais une nouvelle Dimension 7 dédiée à la Gestion de la Performance Environnementale* : une dimension incontournable face aux enjeux climatiques et environnementaux actuels, mais encore peu connue des acteurs de la finance inclusive.
Alors, en pratique, gérer sa performance environnementale, en quoi cela consiste-t-il ?
Nous avons invité des institutions, pionnières en la matière, à partager leur expérience. Aujourd’hui, c’est José Auad, Directeur général de CRECER IFD, en Bolivie, qui nous livre son témoignage.
* La Dimension 7 a été développée par CERISE+SPTF en coordination avec le Groupe d’Action GICSF d’e-MFP. La Dimension 7 est totalement alignée avec le Green Index 3.0, qui est l’outil d’évaluation de la performance environnementale développé et géré par le groupe d’action GICSF.
1. Pourquoi votre institution a-t-elle fait le choix de gérer sa performance environnementale ?
CRECER IFD compte 74 agences et 11 succursales sur tout le territoire bolivien. L’institution accorde des prêts et des services d’éducation financière à ses clients, majoritairement des femmes en situation de vulnérabilité, en zones rurales et urbaines. CRECER IFD a plus de 20 ans d’expérience. C’est la deuxième institution financière du pays, avec un portefeuille de plus de 245 000 personnes engagées dans diverses activités économiques.
Une grande partie de notre succès repose sur notre modèle économique qui propose un service intégral, comprenant un crédit adapté aux besoins du client et des sessions de formation régulières sur différents sujets financiers et non financiers, ainsi qu’un accès à des services de santé grâce à des partenariats.
En 2009, nous avons réalisé notre premier audit social avec l’outil SPI. Par la suite, nous avons régulièrement mis à jour cet audit avec les nouvelles versions de l’outil SPI, en incluant les nouveaux indicateurs, notamment dans le domaine de la protection de l’environnement. Dans l’audit social de 2017, nous avons pu constater que la dimension 7 sur la performance environnementale était la plus faible et la moins développée. L’amélioration continue faisant partie de notre culture institutionnelle, nous avons décidé de prendre des mesures en faveur de l’environnement, avec l’appui de notre gouvernance et de nos investisseurs.
Nous avons réfléchi à la meilleure manière de commencer, afin que toute action engagée soit durable. Le fait d’avoir un si grand nombre de clients rend compliquée la planification des actions de sensibilisation. Notre programme éducatif est d’ailleurs conçu tous les trois ans par la Direction des services nationaux de développement. Et notre personnel doit connaître le sujet avant de pouvoir former les clients. C’est pourquoi, sur ce nouveau volet environnemental, nous avons décidé de travailler d’abord avec le personnel de l’institution, de commencer par nous-mêmes, de montrer l’exemple. Comment pourrions-nous demander au client d’adopter des pratiques respectueuses de l’environnement alors que nous ne le faisons pas nous-mêmes ? Nous avions adopté la même approche pour la prévention du cancer du col de l’utérus – l’une des principales causes de mortalité chez les femmes en Bolivie. Aujourd’hui nos employées connaissent les risques de ce cancer et effectuent des examens chaque année. Elles se sont approprié ces connaissances et ces pratiques, et peuvent donc maintenant les transmettre aux clientes. Et c’est ainsi qu’en 2021 plus de 43 000 femmes clientes de CRECER IFD ont réalisé un examen préventif.
Sur le volet environnemental, il nous fallait acquérir des connaissances sur un sujet sur lequel nous ne sommes pas experts. Nous avons donc sollicité un cabinet de conseil pour nous accompagner dans la mesure de notre empreinte carbone, pour connaître notre impact sur la planète et à partir de là, initier le changement. L’idée était de renforcer notre propre engagement environnemental pour pouvoir, par la suite, étendre cela aux pratiques de nos clients.
2. Qu’avez-vous mis en œuvre pour améliorer votre performance environnementale ?
Nous avons commencé en 2017 par l’élaboration d’une première version de notre politique institutionnelle sur l’environnement. Cette politique précise notre engagement en matière de protection de l’environnement, au niveau de nos différentes parties prenantes. Elle a été validée par notre Conseil d’Administration, marquant ainsi l’engagement de nos instances dirigeantes dans ce domaine. Ce document a constitué la pierre angulaire à partir de laquelle nous avons progressivement développé nos actions.
En 2018, nous avons lancé au niveau du siège un projet pilote intitulé « Detalles que suman » (« Des détails qui s’additionnent »), qui se compose de 4 piliers en ligne avec nos activités et nos capacités institutionnelles :
- Recyclage du papier,
- Gestion des déchets (déchets générés),
- Diminution de la consommation d’électricité,
- Diminution de la consommation d’eau.
L’idée était de trouver un moyen de gérer les déchets générés au niveau de nos bureaux, le papier principalement, et de s’attaquer au problème de la consommation d’électricité et d’eau, en sensibilisant à sa réduction.
Au début du projet, nous avons lancé un concours de réduction de papier au niveau du siège : chaque étage du bâtiment constituait une équipe, et nous contrôlions la quantité d’impressions réalisées et la quantité de papier recyclé (en kilos). Un prix était attribué à l’étage qui avait consommé le moins de papier et avait trié le plus de papier. Nous ne voulions pas générer au sein du personnel un sentiment d’obligation, mais plutôt éveiller leur curiosité et les sensibiliser à l’impact de leurs actions.
Petit à petit, nous avons mis en place différents partenariats. Sur le piler recyclage du papier, nous avons collaboré avec la Fondation Hormigón Armado, une association qui imprime le journal des cireurs de chaussures de la ville de La Paz (les cireurs de chaussures sont souvent des enfants et des jeunes en situation de vulnérabilité qui, pour gagner leur vie, vendent également ces journaux). Nous avons réussi à leur donner plus d’une tonne de papier à recycler.
Sur le pilier gestion des déchets, les bouteilles en PET sont livrées à la mairie pour être recyclées, et parfois à des collecteurs particuliers qui obtiennent des revenus grâce au recyclage de cette matière.
Nous avons aussi signé un accord avec Extend Verde, une organisation spécialisée dans la collecte des déchets et la formation aux problématiques environnementales. L’une de ses activités est la création d’éco-briques, fabriquées à partir de bouteilles en PET vides et propres qui sont remplies de déchets inorganiques propres, jusqu’à l’obtention d’une bouteille dure semblable à une brique. Grâce à l’apport de ces éco-briques de la part de CRECER IFD et d’autres institutions, une salle de classe de musique a été construite pour une école de la commune d’Achocalla, en périphérie de la ville.
CRECER IFD a également signé une convention pour livrer des bouchons plastiques à l’Association des Volontaires Contre le Cancer de l’Enfant (AVCCI). Dans le cadre d’une campagne appelée « P’tits bouchons pour un enfant heureux », l’association a un accord avec la société EMPACAR S.A, qui rachète les bouchons collectés à un prix préférentiel. Les bénéfices vont ensuite directement à AVCCI. Les succursales de La Paz, El Alto et Altiplano Sur, ainsi que leurs agences respectives, ont été intégrées à ce projet, avec un total de 26 points de collecte. Et nous espérons atteindre un niveau national avec tous nos bureaux.
3. Quels sont les résultats atteints à ce jour ?
Nous avons mesuré notre empreinte carbone à trois reprises, ce qui nous a permis de connaître notre impact environnemental. Par exemple, l’empreinte totale en 2018 était de 151 tonnes d’équivalent carbone (tCO2e) pour notre bâtiment principal, soit une empreinte de 1,5 tCO2e par personne. Nous avons décidé que notre empreinte carbone devrait être mesurée chaque année. Et déjà, grâce aux trois évaluations dont nous disposons, nous avons pu réfléchir aux stratégies de réduction de cette empreinte.
Ainsi, en 2021 nous avons publié notre Politique Environnementale, qui précise nos axes prioritaires d’intervention. Avec l’appui de la société de conseil, un guide de bonnes pratiques environnementales a été élaboré et intégré à cette Politique Environnementale.
En 2021, nous avons aussi installé des panneaux solaires dans le bâtiment principal, ce qui a réduit notre consommation d’énergie venant du réseau électrique d’environ 20%.
Aujourd’hui, le papier que nous utilisons est recyclé à près de 100 % au niveau du siège, et le personnel y est fortement sensibilisé. Les actions entreprises au niveau du siège ont commencé à essaimer dans notre réseau : certaines agences ont mis en place des initiatives de recyclage et de réduction de la consommation, en fonction de leurs capacités, de manière volontaire (conformément à notre philosophie de ne rien imposer mais d’inciter à l’action). Ainsi, pas-à-pas, le personnel de CRECER IFD s’approprie le sujet de la protection de l’environnement.
Et ces différentes initiatives ont permis d’améliorer notre score Green Index entre les audits réalisés en 2017 et 2020, avec une hausse de 16 points sur 100, passant de 26/100 à 42/100.
4. Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience ?
Nous avons tiré différentes leçons :
- Tout programme ou projet, aussi petit soit-il, nécessite une planification et une implication à tous les niveaux de l’institution, en particulier au niveau de la gouvernance, avec un regard stratégique afin d’en optimiser l’impact.
- Le personnel répond mieux à la sensibilisation lorsqu’elle est faite de manière créative, ludique et légère, plutôt que lorsqu’il est contraint de réaliser certaines actions. Les incitations positives sont le meilleur moyen de mobiliser le personnel et de donner une image positive du thème environnemental.
- La mesure de l’empreinte carbone peut sembler sans importance ou non pertinente, mais en réalité elle est nécessaire afin d’évaluer l’impact que nous avons sur la planète et de définir les actions d’atténuation pertinentes. De plus, cela améliore la réputation de l’institution auprès des bailleurs de fonds et de la société en général.
- La meilleure façon est de commencer par des petits pas qui peuvent être réalisés rapidement et sans trop d’investissement (« quick wins »). Explorer les initiatives facilement réalisables pour l’institution et se concentrer uniquement sur elles.
- Il y aura des limites inévitables. Dans notre cas, par exemple, la mise en place de panneaux solaires dans toutes nos agences n’est pas envisageable puisque nous ne sommes propriétaires que de trois d’entre elles. Les contrats d’exploitation de panneaux solaires exigent un minimum de dix ans d’utilisation au même endroit, ce que nous ne pouvons pas garantir. Il faut travailler avec ce qui peut être fait et ne pas s’escrimer à rechercher la perfection.
5. Quelles prochaines actions prévoyez-vous de mettre en œuvre pour améliorer votre performance environnementale ?
Tout d’abord, nous prévoyons d’étendre le périmètre de mesure de l’empreinte carbone en 2022, puisque 21 agences se sont engagées à mesurer leur empreinte carbone. En d’autres termes, 25% des unités opérationnelles implantées sur le territoire national seront en mesure de détecter des pistes d’action pour prendre soin de l’environnement. Nous prévoyons également d’installer progressivement des panneaux solaires dans les autres bâtiments dont nous sommes propriétaires. Nous souhaitons reprendre le programme de sensibilisation sur l’utilisation de l’électricité et de l’eau, qui avait été interrompu en raison de la pandémie.
Enfin, nous envisageons d’explorer les pistes pour mettre en œuvre des projets environnementaux auprès de nos clients, avec l’appui de bailleurs et investisseurs intéressés.
6. Que recommanderiez-vous à une institution de microfinance voulant s’engager dans la gestion de sa performance environnementale ?
Nous recommanderions d’élaborer un document stratégique qui définisse votre positionnement en matière environnementale, puisque de ce document découleront l’ensemble des programmes et priorités, élaborés avec le soutien des instances de gouvernance et en ligne avec le plan d’affaires de l’institution.
Nous suggérons également de commencer par évaluer vos capacités, les outils dont vous disposez, ce dont vous avez besoin, afin d’élaborer une stratégie réaliste à moyen terme.
Enfin, nous conseillerions de pratiquer ce que vous prônez, car c’est le meilleur moyen d’être crédible. L’engagement ne peut manquer à aucun moment du processus. Si cet engagement n’existe pas, il est préférable de ne pas démarrer le projet.
Article rédigé par Hugo Bellott, Monica Claure et Rebecca Eyzaguirre, en collaboration avec Cerise.
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