La Gestion de la Performance Environnementale en pratique #2

Le témoignage de l’UBTEC au Burkina Faso

En février 2022, CERISE+SPTF ont publié une version mise à jour des Normes Universelles. Celles-ci incluent désormais une nouvelle Dimension 7 dédiée à la Gestion de la Performance Environnementale* : une dimension incontournable face aux enjeux climatiques et environnementaux actuels, mais encore peu connue des acteurs de la finance inclusive.

Alors, en pratique, gérer sa performance environnementale, en quoi cela consiste-t-il ?

Nous avons invité des institutions, pionnières en la matière, à partager leur expérience. Aujourd’hui, c’est Abdou-Rasmané Ouédraogo, Directeur Général de l’UBTEC, au Burkina Faso, qui nous livre son témoignage**.

* La Dimension 7 a été développée par CERISE+SPTF en coordination avec le Groupe d’Action GICSF d’e-MFP. La Dimension 7 est totalement alignée avec le Green Index 3.0, qui est l’outil d’évaluation de la performance environnementale développé et géré par le groupe d’action GICSF.

** Ce témoignage a été rédigé sur la base de l’intervention de M. Abdou-Rasmané Ouédraogo dans le cadre de la conférence « Microfinance et Transition Ecologique » organisée par le Club de la Microfinance de Paris en décembre 2021, dont le compte-rendu a été rédigé par Eugénie Constancias (EDM).

1. Quels sont les enjeux écologiques dans votre zone d’intervention ?

L’UBTEC, ou Union des Baore Tradition d’Epargne et de Crédit, est un réseau de caisses villageoises implantées dans le monde rural. Nous intervenons en zone sahélienne, au nord du Burkina Faso. C’est une zone pastorale et agricole, où les activités humaines dégradent les espaces naturels et les terres de manière significative. La pression démographique, l’urbanisation grandissante, l’utilisation de bois comme source d’énergie, certaines pratiques agricoles ainsi que la pratique de l’orpaillage : tout cela contribue à la dégradation des sols et de la nature. Chaque année, nous perdons environ 105 mille hectares de forêts. Et cette déforestation exacerbe les effets du changement climatique sur le cycle de l’eau : nous connaissons sur la zone une baisse globale de la pluviométrie, mais aussi des périodes de pluies torrentielles, qui impactent fortement les cultures et représentent un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire locale.

2. Pourquoi votre institution a-t-elle fait le choix de gérer sa performance environnementale ?

L’UBTEC fait essentiellement de la finance agricole. Au début, nous financions les paysans sans distinction de leurs pratiques agricoles. Mais avec le temps, nous avons constaté que certaines pratiques induisaient des risques en matière de dégradation des sols, de pollution des eaux, et de vulnérabilité aux sécheresses, inondations ou feux de brousse. Ces risques fragilisaient les bénéficiaires et ont fini par impacter notre portefeuille. Ainsi, en avril 2016, suite à des pluies diluviennes, une inondation a englouti les champs maraîchers de nos bénéficiaires dans la région du nord du Burkina et entrainé d’énormes pertes de production. En conséquence, le portefeuille à risque de l’UBTEC est passé de 7% à 12% ! Notre portefeuille étant composé en grande partie de crédits agricoles, nous nous sommes dits qu’il fallait mettre en place des mécanismes pour contribuer à minimiser de tels risques environnementaux. Notre philosophie est de « développer sans abîmer ». L’enjeu pour l’UBTEC est donc de parvenir à développer les cultures agricoles, contribuer à la gestion de l’eau et des terres, sans impacter négativement l’environnement.

3. Qu’avez-vous mis en œuvre pour améliorer votre performance environnementale ?

En 2016, avec l’accompagnement de la SIDI et de SOS Faim Luxembourg, nous avons conduit une étude sur la vulnérabilité des exploitants agricoles. L’étude a révélé qu’il était difficile pour les petits exploitants, faute d’accompagnement technique et financier, de mettre en place certaines bonnes pratiques agricoles.

Nous avons alors réalisé une seconde étude pour identifier les principaux risques environnementaux de nos clients et les bonnes pratiques pouvant permettre de diminuer ces risques. Nous avons fait valider ces pratiques par des professionnels (producteurs, agronomes, forestiers, ingénieurs d’élevage). Il s’agit par exemple de l’utilisation des techniques de zaï, de demi-lune, de tapis herbacé, les haies vives, l’association de cultures, les plantations d’arbres, l’utilisation du compost, la construction de biodigesteurs, ou l’utilisation de systèmes solaires pour l’irrigation. Nous avons identifié les savoir-faire et les équipements requis pour mettre en œuvre ces pratiques. Et pour chacune, nous avons évalué les investissements nécessaires et les gains attendus, autrement dit la rentabilité de l’investissement à court terme.

Grâce à cela, nous avons pu bâtir une politique de financement adaptée. Nous avons notamment décidé de mettre en place une bonification pour les exploitants agricoles qui acceptent d’appliquer ces bonnes pratiques. Le bénéficiaire peut choisir un bonus parmi les suivants : (a) soit un renforcement de capacités, à travers un programme de formation en agroécologie ; (b) soit un voyage d’échange hors de leur zone de production, auprès d’autres producteurs modèles ; (c) soit une réduction du taux d’intérêt, pouvant aller jusqu’à deux points. Et certains de nos bénéficiaires, notamment les femmes membres des mutuelles de solidarité (MUSO), peuvent bénéficier des trois types de bonus à la fois.

Les bénéficiaires de l’UBTEC peuvent s’équiper de systèmes de pompage et irrigation solaires.

4. Quels sont les résultats atteints à ce jour ?

Depuis 2020, nous avons octroyés 207 crédits investissement en faveur de pratiques durables. Ces crédits ont par exemple permis aux exploitants de construire des biodigesteurs, d’acquérir des motopompes solaires ou de mettre en place des plateformes solaires pour l’irrigation.

Chaque année, nous évaluons les pratiques agroécologiques de chaque client bénéficiant d’un prêt bonifié, pour s’assurer de l’adoption des pratiques faisant l’objet du financement et décider du renouvellement du bonus au prochain prêt. Nous utilisons pour cela la grille d’analyse des pratiques agroécologiques développée par la SIDI. Cette grille est basée sur 7 critères qui permettent de qualifier la performance environnementale d’une exploitation agricole (ex : gestion durable de l’eau, récupération des terres dégradées, gestion durable du couvert végétal, utilisation d’intrants naturels, utilisation d’énergies vertes…). A chaque évaluation annuelle, nous constatons qu’il y a une meilleure prise de conscience des enjeux climatiques et des effets néfastes d’un certain nombre de pratiques sur l’environnement. Et les bonnes pratiques sont de plus en plus adoptées. Notre travail de renforcement des capacités et de partage d’expériences entre producteurs contribue au changement des pratiques, avec des évolutions différentes d’une localité à l’autre. Par exemple, certains ont remplacé leurs monocultures par des cultures associées. D’autres ont planté des arbres sur des périmètres utilisés auparavant pour la production céréalière exclusive.

Les producteurs adoptent des pratiques agroécologiques, telles que le paillage des cultures.

5. Quelles leçons avez-vous tirées de cette expérience ?

Nous avons constaté qu’en tant qu’institution de microfinance, nous pouvons contribuer à la transition écologique et sociale avec des moyens modestes. Grâce à l’accompagnement de la SIDI et avec nos ressources propres, nous avons pu bâtir une politique et l’intégrer dans nos pratiques de façon globale. Je reconnais que pour les institutions avec des situations financières fragiles, il est nécessaire d’avoir des ressources externes, car certains crédits d’investissement nécessitent des ressources stables (ex. pour financer la mise en place d’une plateforme solaire pour l’irrigation). Il est aussi nécessaire de mobiliser des compétences externes pour améliorer nos pratiques.

A travers cette expérience, nous avons aussi constaté que, au-delà des services financiers, il est essentiel de proposer des services non financiers. En général, les personnes adoptent des pratiques néfastes car elles manquent d’information. Il suffit alors de leur apporter une simple sensibilisation, un renforcement des capacités, pour susciter des changements.

Enfin, nous avons pu voir que la politique incitative a contribué à la réussite du produit de crédit, car elle a servi de communication pour attirer les clients. Et nous avons constaté que ceux-ci ont ensuite compris qu’au-delà de la bonification, il y a un gain qu’ils peuvent tirer à travers l’adoption de pratiques qui peuvent réduire les risques et les coûts, à court terme et moyen terme.

6. Quelles prochaines actions prévoyez-vous de mettre en œuvre pour améliorer votre performance environnementale ?

Pour faire face aux besoins croissants d’investissement dans le domaine de la transition écologique, nous prévoyons de mobiliser des ressources stables (emprunts à moyen et long terme).

Pour aider nos bénéficiaires à adopter des pratiques plus responsables et durables, nous allons aussi prospecter les commerçants d’équipements et de produits agricoles à profil écologique.

Enfin, nous avons entrepris depuis trois ans l’utilisation d’énergie solaire pour le fonctionnement de nos agences. Ainsi, sur 23 agences, 11 utilisent totalement ou partiellement de l’énergie solaire. L’objectif pour les trois prochaines années est de parvenir à couvrir l’ensemble de nos agences en énergie solaire.

7. Que recommanderiez-vous à une institution de microfinance voulant s’engager dans la gestion de sa performance environnementale ?

Si vous voulez vous lancer dans le financement de la transition écologique, commencez par mener une étude pour identifier les pratiques les plus durables, sur tous les plans (écologique, social, économique), et comment vous pouvez favoriser ces pratiques avec vos clients. Faites adopter cette étude et ces plans d’action par votre conseil d’administration. Mettez en œuvre des projets pilotes, puis évaluez les insuffisances et corrigez-les avant d’étendre à d’autres pratiques. Paramétrez  le Système d’Information de Gestion (SIG) pour un meilleur suivi et la valorisation du travail effectué. Ce SIG doit être suffisamment bien pensé, pour valoriser l’ensemble des pratiques positives et à risque. Et enfin, proposez des services non financiers (formation, suivi, échanges), qui peuvent être externalisés si besoin, pour viser un changement durable et plus rapide.

Article rédigé par Abdou-Rasmané Ouédraogo, Directeur Général de l’UBTEC au Burkina Faso, en collaboration avec CERISE.

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