La Gestion de la Performance Environnementale en pratique #1
Le témoignage d’Assilassimé Solidarité au Togo
La Série Environnement de Cerise+SPTF
- Article #1 – Le témoignage d’Assilassimé Solidarité, au Togo
- Article #2 – Le témoignage de l’UBTEC au Burkina Faso
- Article #3 – Le témoignage d’ENDA Tamweel en Tunisie
- Article #4 – Le témoignage de CRECER IFD en Bolivie
- Article #5 – Le témoignage de ESAF en Inde
- Article #6 – Le témoignage de MiCrédito au Nicaragua
En février 2022, CERISE+SPTF ont publié une version mise à jour des Normes Universelles. Celles-ci incluent désormais une nouvelle Dimension 7 dédiée à la Gestion de la Performance Environnementale* : une dimension incontournable face aux enjeux climatiques et environnementaux actuels, mais encore peu connue des acteurs de la finance inclusive.
Alors, en pratique, gérer sa performance environnementale, en quoi cela consiste-t-il ?
Nous avons invité des institutions, pionnières en la matière, à partager leur expérience. Aujourd’hui, c’est Jacques Afetor, Directeur d’Assilassimé Solidarité, au Togo, qui nous livre son témoignage.
* La Dimension 7 a été développée par CERISE+SPTF en coordination avec le Groupe d’Action GICSF d’e-MFP. La Dimension 7 est totalement alignée avec le Green Index 3.0, qui est l’outil d’évaluation de la performance environnementale développé et géré par le groupe d’action GICSF.
1. Quels sont les enjeux écologiques dans votre zone d’intervention ?
Assilassimé Solidarité est une institution de microfinance sociale togolaise qui a été promue par Entrepreneurs du Monde et qui cible les personnes vulnérables ayant un accès limité aux institutions financières classiques. Nous portons une attention particulière aux populations les plus fragiles, telles que les personnes vivant avec le VIH, les personnes vivant avec un handicap, les femmes veuves et les portefaix. Nous intervenons principalement dans les zones urbaines et périurbaines du Grand Lomé, ainsi qu’en milieu rural à Aného, Anié et Amlamé.
Quand on parle d’enjeux écologiques, le premier qui vient en tête, c’est celui des émissions de gaz à effet de serre et de leurs répercussions sur le climat. Le Togo est toutefois un pays très faiblement émetteur de gaz à effet de serre [un Togolais émet en moyenne moins d’1 tonne d’équivalent CO2 par an, soit 17 fois moins qu’un Américain et 8 fois moins qu’un Européen]. L’enjeu majeur pour le Togo et pour nos bénéficiaires n’est donc pas tant de limiter les émissions CO2, que de se préparer aux conséquences liées au changement climatique. Nous savons déjà que le Togo sera de plus en plus fortement impacté par le changement climatique. Les fortes chaleurs, les sécheresses, les pluies intenses et les inondations seront plus fréquentes. Ces changements climatiques vont inexorablement impacter la productivité agricole dans la région (avec des pertes de récolte, une diminution des rendements) et peser sur la sécurité alimentaire des habitants.
Au-delà de la question climatique, le Togo est aussi exposé à d’autres problèmes environnementaux. Le premier est celui de la déforestation. L’enjeu est fort avec une population grandissante qui reste dépendante du charbon et du bois de chauffe, et qui utilise des pratiques agricoles nocives, provoquant des feux de végétation fréquents. La disparition de la forêt pose des problèmes en termes de dégradation des écosystèmes et de perte de biodiversité ; et elle exacerbe également les perturbations du cycle de l’eau et les risques de sécheresse dans le pays.
Autre enjeu : celui de la pollution de l’air, de l’eau, des sols. Certaines pratiques polluantes affectent aujourd’hui la santé des populations locales qui y sont directement exposées. C’est le cas notamment de la cuisson au charbon, qui expose nos bénéficiaires à des particules nocives pour leur santé ; mais aussi de l’utilisation de produits chimiques en agriculture ou de la mauvaise gestion des déchets plastiques, qui ont également des répercussions sanitaires.
2. Pourquoi votre institution a-t-elle fait le choix de gérer sa performance environnementale ?
Assilassimé Solidarité est une institution qui a une mission sociale très forte. Nous travaillons avec des couches de la population parmi les plus vulnérables. Très tôt, nous avons réalisé que ces populations sont aussi les plus exposées aux risques environnementaux et climatiques. Par exemple, nous savons que 95% de nos bénéficiaires agricoles utilisent des produits chimiques et reconnaissent que ces produits ont un effet néfaste sur la santé et les sols. Si nous voulons accomplir notre mission sociale et aider nos bénéficiaires à améliorer leurs conditions de vie, il est indispensable de prendre en compte les enjeux environnementaux.
Depuis 2012, Assilassimé Solidarité a donc décidé de prendre part à la protection de l’environnement, à la lutte contre le changement climatique, et à l’adaptation à ses effets, en promouvant l’adoption de nouvelles pratiques (ex : changement de mode de cuisson, adoption de pratiques agroécologiques, etc.). En tant qu’institution de microfinance, nous avons de vrais atouts pour inciter les populations les plus vulnérables à adopter de nouvelles pratiques. D’une part, parce nous avons créé une grande proximité avec ces populations : nous comprenons leurs réalités et savons comment leur parler. D’autre part, parce que nous leur proposons des services financiers et non-financiers adaptés, qui permettent de lever certaines barrières à l’adoption de nouvelles pratiques.
A deux reprises, en 2018 et en 2020, nous avons eu l’occasion d’évaluer la performance environnementale d’Assilassimé en utilisant le module Green Index de l’outil SPI4. C’est un exercice vraiment intéressant, qui nous a permis d’identifier nos forces, mais aussi les points que nous pouvions améliorer. Et cela nous a motivé à aller encore plus loin.
3. Qu’avez-vous mis en œuvre pour améliorer votre performance environnementale ?
Nous nous sommes engagés sur trois enjeux principaux : l’énergie, l’agriculture et les déchets.
Sur le volet énergie, nous avons développé depuis 2016 le crédit Miwoé, qui finance l’accès à des solutions d’énergie plus saines, durables et écologiques, telles que des kits solaires, des foyers améliorés et des kits gaz. Lors des réunions de groupe, nous sensibilisons nos bénéficiaires au thème de la précarité énergétique : nous leur présentons les risques liés à l’usage d’énergies fossiles et les alternatives possibles. Et pour proposer des solutions de qualité, nous travaillons en partenariat avec Mivo Energie, une entreprise sociale spécialisée dans la distribution de solutions d’énergie au Togo. Par ailleurs, au niveau de l’institution, nous avons déjà fait installer un système photovoltaïque au siège et dans 4 de nos agences, pour relayer le réseau électrique en cas de coupure et éviter d’avoir recours à des générateurs diesel.
Sur le volet agricole, nous sensibilisons les bénéficiaires de nos agences rurales aux bonnes pratiques agricoles lors des réunions de groupe, à travers une série de modules de formation développés avec l’appui d’Entrepreneurs du Monde. Nous cherchons à les dissuader d’utiliser des produits chimiques, qui coûtent chers, sont dangereux pour leur santé et dégradent les sols qu’ils cultivent. Et nous promouvons des pratiques agroécologiques, telles que faire son propre compost, préparer ses pesticides naturels, limiter ses pertes en eau, ou lutter contre l’érosion. Au niveau de nos agences rurales, nous employons une conseillère technique agricole qui accompagne les producteurs sur ces sujets. Avec l’appui d’ADA, nous avons aussi initié des partenariats avec des acteurs locaux reconnus et qualifiés en agroécologie, tels que JVE, CEFA et CADETE, afin de former plus en profondeur les producteurs aux pratiques agroécologiques. Et dans le cadre de notre Crédit Stockage, nous sensibilisons également nos bénéficiaires aux bonnes pratiques liées au stockage des céréales et légumineuses. Ici aussi, nous leur présentons les risques liés à l’utilisation de produits chimiques pour éloigner les ravageurs, et mettons en avant les alternatives possibles.
Sur le volet déchets, nous avons noué un partenariat avec Miawodo, une entreprise sociale togolaise promue par Entrepreneurs du Monde qui développe des services de collecte et recyclage des déchets. Depuis juin 2021, nous avons ainsi mis en place au sein de nos agences et du siège le tri des déchets papier et plastiques. Nous avons aussi réalisé un pilote au sein d’une agence, avec environ 20 groupes sensibilisés au problème des déchets plastiques et mobilisés afin de rapporter leurs déchets lors des réunions de groupe. Nous avions défini un système de valorisation du geste de tri pour les bénéficiaires (incitation en nature), et le pilote a été un succès, avec plus de 3,8 tonnes de déchets plastiques collectés !
En 2021, nous avons voulu que ces différentes initiatives puissent être consolidées et englobées dans une stratégie plus formelle au niveau d’Assilassimé. Avec l’appui de la Fondation Grameen Crédit Agricole, nous avons donc travaillé, avec une consultante, à la définition de notre stratégie environnementale. Depuis, nous avons également mis en place un point focal « Environnement » au sein d’Assilassimé Solidarité.
4. Quels sont les résultats atteints à ce jour ?
Depuis 2016, nous avons sensibilisé près de 67 000 bénéficiaires au problème de la précarité énergétique, et ce sont plus de 8 800 crédits Miwoè qui ont été décaissés. Ce sont autant de ménages qui ont amélioré leur accès à l’énergie ! Nous avons pu voir que l’adoption de la cuisson au gaz a particulièrement amélioré le confort de nos bénéficiaires, par rapport à la cuisson au charbon qui émettait des particules nocives.
Depuis septembre 2018, nous avons également sensibilisé plus de 6 000 bénéficiaires aux bonnes pratiques agricoles. En mars 2021, dans le cadre d’un pilote mis en œuvre avec le soutien d’ADA, ce sont 24 producteurs qui ont été formés sur plusieurs jours aux pratiques agroécologiques, et qui ont ensuite réalisé des restitutions dans leurs communautés. Nous avons aussi formé 254 producteurs sur la mécanisation, dans une approche les amenant à réduire leur utilisation de produits chimiques. Enfin, depuis mars 2020, nous avons sensibilisé près de 600 bénéficiaires de crédit stockage aux bonnes pratiques (écologiques) en matière de stockage des céréales et légumineuses. Auprès de nos bénéficiaires de crédits agricoles, nous avons mis en place un système de suivi pour évaluer l’évolution de leurs pratiques agricoles. Cela nous permettra de voir si nos efforts de sensibilisation, formation et accompagnement se traduisent dans l’adoption de nouvelles pratiques agroécologiques.
Enfin, sur le volet déchet, après le succès du premier pilote, une seconde agence a été sollicitée pour mobiliser les bénéficiaires dans la collecte des déchets plastiques.
5. Quelles leçons avez-vous tirées de ces expériences ?
Pour traiter ces enjeux environnementaux, il est essentiel de pouvoir monter en compétences. Cela signifie à la fois s’informer et se former en interne ; mais aussi et surtout savoir nouer des partenariats avec des acteurs clés, qu’ils soient spécialistes de l’énergie, de l’agroécologie ou des déchets. Ce qui est intéressant, c’est que toutes ces expériences nous ont permis d’étendre notre réseau de partenaires techniques. C’est parce que nous réfléchissions à ces problématiques environnementales que nous sommes allés vers de nouveaux partenaires spécialisés, tels que le centre CADETE, expert en agroécologie. Ces initiatives nous ont aussi permis de renforcer notre collaboration avec des organismes de l’Etat, tels que l’Institut Technique de Recherche Agronomique et l’Institut de Conseil d’Appui Technique. Nous avons aussi pu compter sur l’appui de nos partenaires financiers habituels. C’est grâce à de telles collaborations multi-acteurs que l’on peut s’attaquer à certains enjeux clés et proposer des solutions adaptées.
Au fur et à mesure que nous montons en compétences sur le sujet, nous affinons également notre positionnement et nos actions. Sur la question des déchets par exemple, je n’aime plus trop communiquer sur le tonnage de déchets plastiques collectés auprès des groupes, car j’ai pris conscience qu’il nous faut aller plus loin, et agir plus en amont, sur la réduction de la production de déchets à la source. En complément de la collecte des déchets, nous réfléchissons par exemple à des actions à mener auprès des restaurateurs, pour réduire la production de déchets plastiques liée à la vente à emporter.
L’important, c’est d’y aller pas à pas, de démarrer par les actions qui nous semblent les plus pertinentes et accessibles, de tester, d’ajuster, et d’approfondir petit à petit. De notre côté, il y a des problématiques sur lesquelles nous n’avons pas encore démarré, car elles restent complexes. Cela fait plusieurs années, par exemple, que nous souhaitons agir sur le problème du charbon de bois. Plus de 6% de nos bénéficiaires sont engagés dans la vente de bois et de charbon de bois, et contribuent malgré eux au problème de la déforestation au Togo. Mais comment faire pour décourager progressivement ce type d’activités ? C’est un sujet délicat, car ces personnes sont souvent très vulnérables. Les exclure ou les sanctionner ne serait pas la solution : au mieux, ils obtiendraient un financement ailleurs et poursuivraient leurs activités ; au pire, leurs conditions de vie s’en trouveraient impactées. Les exclure présenterait aussi un risque financier important pour Assilassimé. Pour l’instant, nous essayons d’agir sur la demande, en promouvant les kits gaz via le crédit Miwoè. Mais nous continuons à réfléchir sur d’autres actions possibles.
6. Quelles prochaines actions prévoyez-vous de mettre en œuvre pour améliorer votre performance environnementale ?
Dans les semaines qui viennent, nous allons formaliser la stratégie environnementale d’Assilassimé et définir un plan d’actions concret, avec un calendrier, une répartition des rôles et des indicateurs de suivi.
Nous allons aussi mettre en œuvre un nouveau projet autour des engrais et pesticides biologiques. Lors de nos sessions de sensibilisation, nous avons constaté que beaucoup de producteurs souhaiteraient réduire leur utilisation d’intrants chimiques, mais qu’il était difficile pour eux d’accéder à des intrants biologiques. Nous avons donc décidé de lancer un nouveau projet de développement d’unités de production de bokashi (un engrais naturel) et de biopesticides. Nous venons tout juste d’inaugurer les deux premières unités de production. D’ici septembre 2022, elles produiront 200 tonnes de bokashi et 3 500 litres de biopesticides. Grâce au soutien de l’Ambassade de France, ils seront vendus à nos bénéficiaires à un prix subventionné, afin de les inciter à tester ces nouveaux intrants. Ces achats pourront bien entendu être réalisés dans le cadre des crédits agricoles que nous leur proposons.
7. Que recommanderiez-vous à une institution de microfinance voulant s’engager dans la gestion de sa performance environnementale ?
Lancez-vous ! Formez-vous. Sensibilisez votre personnel à la cause environnementale. Mettez en œuvre de premières actions, celles qui vous semblent à portée de main. Nous sommes face à des enjeux majeurs. Chacun, à son niveau, a le pouvoir d’agir. Si chacun s’engage, à sa manière, même si ce sont des petites choses, alors l’impact sera visible !
Article rédigé par Jacques Afetor, Directeur de Assilassimé Solidarité Togo, en collaboration avec CERISE.
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